63OG à Bordeaux, de l’autre côté de l’Atlantique

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Le son des glaçons qui remuent dans le verre et les douces notes d’un synthétiseur apparaissent au même moment que 63OG dans son clip TT, il déploie doucement quelques mots issus du slang américain pour annoncer la suite du morceau. Ce son californien à la fois rythmé et très bas, voire chill, présente au spectateur le jeune diable qui se cache derrière cette voix suave et cet insolent mélange d’américain et de français. Américain oui, car c’est bien ce pays, et la diction particulière qui s’y déploie, qui ont influencé cet ancien basketteur passé au lycée par le Texas, la Floride, Kansas, et le New-Jersey. Finalement, le rêve échoue et un dur retour à la réalité s’amorce pour lui lorsque son visa n’est pas renouvelé. S’ensuit une année chez les espoirs à Bordeaux, puis la flambée de covid-19 qui confine la France entière.

63OG monte alors un groupe avec des amis rencontrés au Cameroun -ses parents vivent à Dakar- qu’ils nommeront 63wa. Wa signifie racine en Yoruba, racine africaine, racine urbaine, la racine du rap qu’ils concoctent ensemble. Cet été encore, 63OG produisait ici et là dans les studios d’amis à Dakar, ou au Togo où il passait ses vacances. Le jeune homme se décrit sans fard comme un garçon très libre, instinctif et surtout talentueux. Sans fausse modestie, il analyse son début de parcours : “La musique, c’est du talent. Car à la base, j’étais pleinement dans le basket. Je ne me suis même pas dédié à la musique (pour que ça fonctionne, ndlr)”.

Lors de ses voyages, il a notamment croisé la route de Mussy (Lyonzon) à Douala et celles de thaHomey et DirtyIceBoyz à Paris. Pour ces derniers, le jeune homme de vingt ans n’a que du respect et de la reconnaissance. On comprend très vite au fil de la discussion qu’ils sont pour lui comme des parrains, deux grands frères dans ce rap système auquel se heurtent de nombreux artistes. “J’écoutais thaHomey à la base, puis je l’ai dm et il m’a offert le feat. C’était juste pour me donner de la force. Ce feat m’a aidé à me faire remarquer.” reconnaît-il. Grâce au rappeur rémois, il fait la connaissance de DirtyIceBoyz avec qui il est resté en contact régulièrement depuis. Au cours de l’entretien, on apprend même que Dirty et thaHomey le conseillent sur sa communication, son discours et sa posture sur les réseaux sociaux, en story notamment. “Si y’a un truc bizarre, ils me le diront cash.”, lâche-t-il entre ses nombreux témoignages. Signe que tout est millimétré avant d’être posté sur les comptes de rappeur aujourd’hui. 

Issu de la branche Soundcloud, qui n’en finit plus de croître depuis 2018 et le renouveau de la scène underground, 63OG est un rappeur éclectique particulièrement fort dans le franglais à outrance et redoutable en DMV flow à la manière de ses deux “big homies” précédemment cités. Lazy et parfois incompréhensible pour un auditeur grand public, 63OG fonctionne comme les rappeurs outre-atlantique, “avant tout au feeling et selon la mélodie”, précise-t-il. Une affinité avec le beat qui se ressent tellement que, parfois, il en délaisse l’écriture pure pour se créer des facilités avec le rythme. Cela fonctionne, car lorsqu’on apprécie sa musique, on se laisse facilement aller comme si on écoutait un rappeur de Chiraq ou Atlanta dont on aime la musique et l’énergie sans forcément parvenir à les déchiffrer. 

Il cite le légendaire Chief Keef comme source d’inspiration, aux côtés de thaHomey & DirtyIceBoyz -encore eux-, Playboi Carti, Summrs, Ateyaba, ou encore Southlove, dont les chants doux et cotonneux se rapprochent de son style sur certains titres. Il se dit fier de venir de cette scène. Il se souvient, justement, que ce sont des artistes comme Freeze Corleone qui ont poussé la plateforme depuis 2015; tandis que d’autres, plus récents, comme thaHomey ou 8Ruki, ont repris le flambeau grâce à de nouveaux procédés et une imagerie encore plus calquée sur ce qui fonctionne aux Etats-Unis. Puisqu’il est forcément très proche des nouvelles tendances, 63og déclare que son featuring de rêve serait avec le jeune texan Kankan, dont la vibe est résolument associé au rager rap, style apparu dans le sillage de Whole Lotta Red, l’album manifeste du genre de Playboi Carti.

Le style du rappeur bordelais est encore en formation. Il touche à un grand nombre de couleurs musicales pour exprimer sa liberté et satisfaire sa curiosité naturelle. A ce titre, il déclare : “Comme je n’aime pas écouter tout le temps la même chose, je n’aime pas faire les mêmes titres”. Avant d’ajouter : “Personne n’attend quoi que ce soit de moi, donc je suis libre”, en toute franchise. Une liberté, une fraîcheur et un enthousiasme qui augurent de bonnes choses tant il sait s’entourer et se connecter avec les autres artistes autour de lui. Il a d’ailleurs récemment posté “632Swag” avec le niçois Southlove, la collaboration est une réussite par l’homogénéité et l’énergie planante, solaire, qu’ils dégagent ensemble.

Son EP estival, Born Like a Roi, sur les productions digitales du talentueux Sevenonthetrack, a amené une bonne audience (environ 4000 auditeurs par morceau) et fut un projet sympathique pour un premier EP. A signaler ici : Double Cup & Exotic Drink, deux choix bien distincts et subjectifs. Le premier est un son trap aux allures californiennes, le second un ovni digital, trap, où son egotrip léger et sans contours se déploie tranquillement. 

Le jeune rappeur espère désormais une ascension dignes de celles de ses modèles du cloud cités précédemment, et pourquoi pas une signature en major. Il ne s’en cache d’ailleurs pas, et fait tout ce qu’il peut pour capitaliser sur son talent et son énergie particulière et protéiforme. Comme chanté, dans TT (pour Too Turnt), entouré de ses gars du 63WA, la racine : “Jamais je vais lack bro.” (Jamais je ne me reposerai sur mes lauriers, ndlr.)


En prime aujourd’hui, le rappeur bordelais sort son nouveau clip Dark Vador, réalisé par Wasscoast. Il s’agit du premier extrait de sa prochaine mixtape, prévue pour décembre et entièrement produite par thaHomey. Une mixtape en forme de deuxième balle dans sa courte carrière, seconde bullet venue de la scène montante qu’est Bordeaux où, finalement, on trouve aussi du rap transatlantique.

Rédigé par Allan Machado (@Mariomathusalem) – Photo de couverture par 4GETNANAH

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