Soolja Loto, du nerf dans le texte

Photo 1 - LOTO

S∞lja, initialement soulja, souljah, se dit d’une personne forte et mentalement prête à défendre toute propriété qui est la sienne. Un souljah ne vient pas forcément de la rue, n’est pas nécessairement “gang”, un souljah est une âme violente d’indépendance. C’est celui qui défend son territoire, plus largement son honneur, une histoire entière et personnelle. Le souljah ne peut être défini par autre chose que sa volonté totale et dramatique à défendre tout ce qui lui est cher contre toute convention et sans vergogne en travers de la norme.

Le Soulja est quelqu’un de maximaliste. Il ira donc jusqu’au bout pour ce qu’il considère être ses intérêts, mais quels sont ceux de Loto ?

11 titres et une mixtape d’une petite demi-heure sur laquelle on a accroché des morceaux tous du même acabit – rareté – variant d’1:29 à 2:46 pour le plaisir de la synthèse auditive. S∞lja est le 4ème projet du bien nommé Loto pour qui l’argent est la certitude, conséquence de quoi il apparaît tout au long de ses volubilités énergiques comme son seul but valable et crédible.

C’est la cadence d’un draco qui crache de la main d’un ex-enfant soldat qu’on entend tout le long des mesures prononcées par Loto sur des productions à majorité Trap d’inspiration Michigan. Concrètement, c’est un repris de cette scène flamboyante et populaire qui vient de Detroit – et devrait trouver sa place assez facilement en France. Cette technique de pose est plus classique que les dernières innovations venant des états-unis, des instrumentales pas nécessairement rapides mais tout de même cette énergie constante et cette cadence dans la manière de se faufiler dessus avec espièglerie entre les percussions et les distorsions qu’on pourrait parfois confondre avec les productions typiquement west coast du gangsta rap. On citera à titre de références Drego & Beno, superbe duo, l’un ne va pas sans l’autre. Bandgang Lonnie Bands mérite pour lui seul de découvrir cette scène. 42 Dugg est le plus précoce et un des plus populaires, une sorte de mix entre Tee Grizzley et Kodak Black, personnage méchant à première écoute. Damedot, Cash Kidd, Sada Baby, il y en a un tas dans la fourrière de Détroit…

En France, j’ai vu quelques novices s’essayer à cette manière de rapper sans se prendre au sérieux, puis j’ai écouté Loto il y a de nombreux mois, et il a tout à fait compris ce qu’il était possible de faire de ce cadeau venu de cette ville cassée. Parisien d’origine zaïroise, il a capté en lui toute la brutalité et l’aigreur nécessaires à mûrir sa plume comme l’aiment les anciens tout en proposant une musique régénérée. Loto est une vieille plume, peut-être une originalité dans le rap actuel tant il use peu d’effets vocaux et d’artifices.

Le plaisir d’écoute réside dans le texte, les formules de qualité sont tellement nombreuses que le choix des citations à suivre a été une douleur ; mais elles feront l’honneur de ceux qui aiment justement ce rap à la fois poétique, à phonétique cognante, où l’engagement est profond.

Quand on voit arriver ce métisse râblé à l’écran, puis qu’on l’entend cracher sans hésitation aucune “Mon père voulait pas mais je suis quand même venu”, on devine qu’il y a de la rage et une vraie envie de parler chez ce rappeur.

Le jeune homme de 26 ans fonde son identité artistique, peut-être son identité tout court, sur la charge de revanche. Cette hargne omniprésente qui cavale dans ses textes se loge dans quelques thèmes résurgents dont le premier est avant tout le travail, qui englobe aussi ce “Hustle” plus flou qu’on perçoit surtout dans la bouche de ceux du bas.

Lorsque j’entends Loto, c’est un jeune poète conscient de ses qualités que j’entends, un artiste têtu qui vient réclamer une sorte de dû naturel. Après tout il a taffé, énormément : “Ces négros passent du bon temps, je passe mon été à rec”. Effet miroir qui met en superposition la différence entre lui et cette masse de fainéants inertes dont il parle souvent de très loin.

Malgré tout ce travail et cet intérêt évident pour le rap, plus généralement la musique, il n’hésite pas à cracher un peu dessus en le classant au rang de gagne-pain : “J’arrête le rap si ça augmente pas mes revenus”. A moins que ce soit un chantage pour qu’on l’écoute davantage ? Ça marcherait presque ! S’il est conscient de son talent, on se demande si à ses yeux ce n’est pas qu’une pratique. Cette indécision entre vocation et talent utile interroge. Car Loto est conscient de ses facilités comme il le dit dans “Le rap c’est mon enfant, je donne mon nom à des type beats”; pour autant, comme on s’apprête à le voir, y’a-t-il un attachement particulier à ces gosses ? C’est lui-même qui dit “Tu n’assumes pas ton gosse mais c’est ton portrait craché”, signe d’un rapport particulier à cette paternité. Paternité qu’il confesse également dans cette mixtape où “90% est vrai” selon lui, il aurait un enfant de cinq ans en Afrique.

D’ailleurs, ses références aux femmes, et à l’amour ainsi qu’à la filiation, sont difficiles, il y a une sorte d’impureté brutale dans son rapport à l’engendrement. Là intervient tout le spectre de l’identité et le sentiment ambivalent que peut être celui d’un enfant issu de cultures différentes, entre l’Afrique et la France, la colonie et le colon. Ses figures de style sont d’une justesse épatante pour transmettre cette impression d’égarement.

“En Afrique je me sens blanc comme Jodie Foster. Je suis chez moi nulle part, je suis partout un imposteur.” Lire à voix haute, sentir les “r”.

S’en suit une invocation très à propos de la figure rebelle de Toussaint Louverture, premier révolutionnaire noir, à Haïti, et symbole d’émancipation des esclaves. On l’oublie parfois, mais cet officier français inspiré par le catholicisme, les Lumières et le vaudou, est également une des figures proéminentes et pionnières du multiculturalisme français.

Enfin, sur le plan technique, il faut aussi rendre hommage à Loto qui a agi indépendamment : enregistrement, mix et mastering. “Fuck un label, le label c’est moi”, conclue-t-il sans exagération.

Un choix subjectif de trois titres : H&R 1.5, WAR WIT US, HOW U SOUND. La mélancolie cachée au fond de la force de ces morceaux est frappante, et puisqu’il faut bien finir avec une citation, elles firent un fleuve dans cet article : “C’est dans mon cerveau que tu peux trouver mes biceps”. Du muscle à l’esprit, oui, la force est une intelligence pour le Souljah.

Article rédigé par Allan Machado (@mariomathusalem)

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